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ASP du Leon
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25 février 2012

Témoignages

Le sens du bénévolat

La première fois que je suis entrée, dans la chambre de Stanislas, accompagnée par la cadre infirmière, j'ai été, je dois l'avouer, effrayée.
Stanislas était un monsieur de 75 ans, très gravement handicapé, il était tout petit avec les membres très déformés, sa langue énorme pendait, ses mains étaient repliées sur elles mêmes, mais chose extraordinaire, quand il nous a vues entrer dans sa chambre il s'est mis à sourire, ses yeux souriaient, sa laideur en disparaissait.
Néanmoins, je me suis demandée si j'aurais le courage de revenir le voir. Oui, je crois que le fantasme du "bon malade, bien propre sur lui, avec une douce main dans la mienne, avec des échanges intéressants etc.," en prenait un coup. Il est vrai que je n'avais que 3 mois de bénévolat derrière moi !

Donc première interrogation sur mes motivations réelles, était-ce vraiment ce que je cherchais ? Est-ce que je ne faisais pas fausse route puisque dès le premier accompagnement difficile je butais ? Et de quoi avais-je peur au fond ?
Après avoir bien réfléchi, oui, je retournerai voir Stanislas, j'essaierais en tout cas.

Pour être tout à fait honnête, je trouvais que c'était un accompagnement difficile, très difficile, et qui me coûtait, d'autant plus, que souvent, il me faisait très bien comprendre qu'il voulait que je l'embrasse, me montrait sa langue et il essayait de se saisir de ma main avec un regard que je trouvais lubrique et qui m'effrayait.
Mais je continuais malgré tout, car il m'accueillait toujours avec le même sourire, il balbutiait "bonjour madame" et à chaque fois cela m'émouvait, puis, je me suis mise à mieux comprendre ce qu'il grommelait, et donc une communication me semblait davantage se faire et m'encourageait à persévérer.

Petit à petit,au fil du temps, avec ses mots à lui, il me dit sa souffrance de ne pas être comme tout le monde, le rejet de sa famille, son abandon. Il avait été placé en institution dès son jeune âge et puis enfin, comme il vieillissait dans le secteur " maison de retraite médicalisée", là où je venais l'accompagner.

Je l'ai accompagné environ 3 ans, avec des hauts et des bas, des moments de découragement et de joie, et grâce au groupe de parole où je pouvais parler de mes doutes et de mes difficultés, et comprendre ce que je vivais, je continuai.

Les derniers temps son état s'est altéré, et là aussi c'était difficile, pas pour les mêmes raisons, mais mes interrogations sur le sens de la vie, devenaient source de souffrance.

Oui, je m'interrogeais sur les différences de vie de chacun, pourquoi certains êtres devaient souffrir autant,
à mes yeux tout au moins, oui, j'ai connu des moments de révolte, d'incompréhension, et je me sentais plus triste et en même temps plus pleine d'amour envers Stanislas, mes peurs avaient totalement disparu .

Puis vint le moment du dernier accompagnement, Stanislas geignait tout doucement, j'ai longuement caressé son front, j'ai glissé ma main dans la sienne, je sentais la pression encore chaude de ses doigts, et je suis restée comme cela un long moment avec lui, je me sentais très proche de lui, si proche.

Quand je suis partie, j'étais sereine, remplie d'un grand bonheur, et je me suis dit que cet accompagnement si long, si difficile m'avait fait progresser et que c'est Stanislas qui avait vraiment donné du sens à mon bénévolat, et peut être aussi, en partie, à ma vie.

 

Un accompagnement par le toucher

Madame N., environ 85 ans, était arrivée en urgence un dimanche dans le service d’oncologie, sans que personne parmi les soignants ne la connaisse. Ils ont seulement pu nous dire qu’elle avait un cancer au cerveau et était déjà aveugle et sourde. Nous nous demandions comment nous allions pouvoir la rencontrer.

Lorsque, la première, je suis allée la voir, j’ai été surprise par la beauté et l’expression très vivante de son visage, par ses yeux, je pourrais même dire son regard. Ses grands yeux gris-bleu semblaient me regarder intensément, alors qu’on m’avait dit qu’elle ne voyait plus. Sans me voir ni m’entendre, elle m’avait accueillie très chaleureusement, me prenait dans ses bras, me touchait le visage avec une expression de joie et de reconnaissance. Ses propos étaient totalement incompréhensibles, mais le ton de ses paroles, son regard, ses gestes, la délicatesse de son toucher exprimaient un amour authentique. Elle était comme un petit enfant, innocente, spontanée, naturellement affectueuse.

Aussi spontanément qu’elle, je m’étais laissée faire et je lui rendais ses caresses. Me prenait-elle pour sa mère, pour sa sœur, pour sa fille ? Je sais très bien que ce n’était pas à moi en tant qu’individu que cet amour s’adressait, mais c’est pourtant avec moi, qui l’accompagnais, que cela s’échangeait et je le ressentais très fort.

Le dimanche matin suivant, l’infirmière du service m’a appelée : trois patients étaient sur le point de mourir. Parmi eux, Madame N. Sa famille était dans l’incapacité de l’accompagner. Ses trois sœurs, très âgées, vivaient en province et ne pouvaient se déplacer. Son fils était venu et reparti aussitôt ; il ne pouvait supporter l’agonie de sa mère et avait demandé à être rappelé dès que ce serait fini. Pourtant Madame N, déjà dans le coma, cherchait encore le contact d’une peau chaude si on mettait une main à portée de la sienne. Je suis restée auprès d’elle pendant les trois heures qui ont précédé sa mort, sa main posée sur la mienne. L’une après l’autre, ses trois sœurs qui vivaient dans des régions différentes l’ont appelée au téléphone. Evidemment, elle n’a pas pu leur parler, mais je lui ai fait écouter chacune de leurs voix qui lui disait "au revoir", et je leur ai assuré que j’allais rester auprès d’elle jusqu’à la fin. Je crois que Madame N a bien perçu les adieux de ses sœurs, même si elle n’a rien pu manifester. Malgré la défection de ses proches, je crois que sa fin de vie aura été paisible. Toutes les personnes qui l’ont approchée, soignants comme bénévoles, ont été marquées par sa présence chaleureuse, au delà de la confusion de son esprit ; jusqu'au bout elle a su instaurer des relations d’amour avec son entourage.

L’accompagnement de Madame N. m’a aussi amenée à m’interroger. Pendant trois heures, je ne l’ai pas quittée des yeux, je n’ai pas quitté le contact avec sa main. Puis l’infirmière m’a demandé d’aller répondre au téléphone, pour organiser la suite de l’accompagnement. Elle m’a dit "je prends le relais", mais, appelée par un autre malade, elle a dû à son tour sortir de la chambre. C’est pendant ces cinq minutes de solitude que Madame N. est décédée.

Je me suis demandée si au cours de ces dernières heures, je ne l’avais pas retenue, ma main chaude réchauffant la sienne… Peut-être avait-elle attendu d’être seule pour enfin se libérer ?

 

 

 

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